L'horizon affiche neuf plombs sur sa ligne.
Avec nous, cela fera dix. Dix bateaux touristiques de trois ponts au moins et 200 personnes environ susceptibles de se mettre à l'eau pour avoir la chance de dire:
“je les ai vus”.
Sataya Reef en mer rouge, au sud de l’Égypte est un site touristique incontournable pour les amateurs de dauphins à 30 km des côtes.
Des dauphins à long bec (“Spinner” en anglais) les “Stenella Longirostris” viennent se reposer en groupe dans une baie corallienne longue de 5 km qui les protège des prédateurs pendant la journée.
Une première plongée en bouteille est planifiée sur site avec mon épouse Isabelle pour admirer les fonds et les coraux pendant que d’autres en surface, équipés de palmes et d'un tuba, s'émerveillent devant les “odontocètes” tentant vainement de les suivre dans un bain bouillonnant d'éclaboussures.
De retour sur le pont arrière du “Gloria”, notre bateau défraîchi qui a dû connaître ses heures de gloire dans le passé, notre harnachement encore trempé sur le dos, nous écoutons les commentaires enjoués des Snorkelers avec envie et frustration. Malgré la culpabilité du remue ménage causé par le battement des paires de palmes et le balai des Zodiacs pendant la période de repos des cétacés, nous aspirons aussi de tout coeur à vivre une telle rencontre. Face à notre gêne, notre “Dive Master” Polonais, Michal Kowal rétorque, tout en acquiesçant nos propos, que si les dauphins étaient véritablement dérangés ils se sauveraient ailleurs illico.
Notre tentative de les voir en fin d'après-midi avant le coucher du soleil se soldera par un échec et de la déception. Les “Long Bec” ont déjà pris le large pour chasser toute la nuit.
Demain matin, après notre première plongée au lever du soleil, nous irons de nouveau tenter notre chance.
La nuit s'enrobe du ronronnement des compresseurs et d'une odeur omniprésente d’essence qui imbibera nos vêtements pendant plusieurs jours. Je ne peux m'empêcher de penser et de culpabiliser encore une fois à la pollution générée par notre tourisme.
Il est 6h10 du matin environ, notre zodiac prend la direction d'une bille de feu qui crève progressivement la pénombre maritime. Nous nous réveillons lentement, Isabelle, Michal, les bancs de fusiliers lunaires et moi à une vingtaine de mètres de profondeur dans une eau à 25°, longeant un flanc de récif corallien, baillant aux premiers rayons du soleil levant.
Une bonne heure plus tard, délestés de notre gilet stabilisateur, détendeur et bouteille, Isabelle me fait comprendre que nous n’aurons pas le temps de remplir notre estomac avec le petit déjeuner prévu à bord. L’annexe pneumatique est prête à nous emmener tous les trois voir les dauphins pour conjurer la déception de la veille. Gloria est l’unique bateau ancré sur le récif de Sataya ce matin. Nous serons donc à priori les seuls.
Les conditions sont optimales. Quelques minutes plus tard, nous apercevons les petites pointes noires de leurs nageoires dorsales entre les vagues.
Ils sont nombreux.
Assis sur le boudin du Zodiac, nos regards se croisent silencieusement, illuminés d'espoir et d'excitation. Au “Go!” de notre skipper Egyptien nous nous invitons dans leur univers bleu turquoise.
Ils sont là, en grappe d'une cinquantaine d'individus. La visibilité est renforcée par la réverbération du sable blanc tapis à moins de 10 mètres de profondeur.
Ils arrivent de partout.
Certains se poursuivent activement tandis que d'autres copulent tranquillement entourés de placides curieux. Je regarde à peine l’écran de mon appareil photo. Mon doigt active frénétiquement le déclencheur du caisson étanche abritant mon Alpha 7 RII.
C'est impressionnant de beauté.
Nous évoluons doucement à la surface en attendant qu’ils reviennent de leur grande boucle permettant aux autres membres du Gloria fraîchement arrivés en semi rigide de les apprécier à leur tour.
On ne pense plus à rien.
Nos yeux tentent de fixer un maximum de détails. On aimerait tout savoir ou deviner comment ils vivent, comprendre leurs comportements mais au final, moins on en sait, plus la contemplation est grande.
Plonger en apnée aurait été l'idéal mais notre taux d'azote dans le corps nous l'interdit avant notre prochaine plongée sur une épave de bateau dans deux heures. L'idée de faire un stage d'apnée commence à émerger doucement. Cette pratique m'apparaît soudainement comme une révélation en voyant mes jambes suspendues dans le vide.
L’objectif initial de notre séjour en Egypte est atteint. Même si nos dizaines de plongées et une belle rencontre visuelle et sonore avec un dugong en valait aussi la peine.
Le trajet du retour en minibus jusqu’à notre hôtel Utopia Beach Club dure 3 heures. Le temps de cogiter sur l'état de l'Egypte après sa révolution du 25 janvier 2011 et les quelques attentats qui ont plongé le pays dans une récession économique sans précédent.
J'aurais dû faire une photo, avant notre départ:
après la révolution, les poursuites judiciaires envers les investisseurs corrompus, ont laissé d’immenses constructions avortées tels des squelettes de sable en dentelle le long de la route côtière. Des décors hors du commun à photographier mais trop compliqué et délicat à réaliser sans autorisation ni guide.
Michal nous racontait qu'avant la révolution, notre hôtel attirait 200 plongeurs quotidiennement. Preuve en est, les épaves des bateaux de l'époque gisant à quelques mètres de l’embarcadère.
C'est un mal économique mais un bien pour les coraux.