Elle va être longue cette troisième journée d'affût.
Il pleut. Nous sommes terrés dans un cabanon de 3m² semi enterré au sein d'une forêt de conifères à la frontière entre la Belgique et la Hollande.
Collant en polaire, deux paires de chaussettes et un pantalon de ski, multicouches de gilet et doudoune pour résister au froid en position statique, nous sommes assis dans une boîte peinte en noir affublée d'une vitre sans tain en guise de meurtrière. D'autres affûts offrent un vrai confort avec chauffage électrique ou poêle à bois, hauts parleurs pour diffuser des chants d'oiseaux censés les attirer, sans parler du wifi et des fauteuils de Gamer. Mais ça, ce n'est pas pour aujourd'hui même si la température proche de zéro la veille est brusquement remontée sous les dix degrés.
L'heure est grise et la luminosité sous les pins pousse nos ISO au-delà des 12800 qui a pour conséquence, une vitesse d'obturation trop basse pour capter avec netteté les mouvements du rapace qui viendra dévorer le pigeon laissé mort à une douzaine de mètres en face de notre planque. Je n'ose d'ailleurs pas questionner notre guide sur la provenance des cadavres de Colombidés qu'il utilise quotidiennement comme appât. Sa réponse risque d'être potentiellement incompatible avec notre éthique sur la photographie animalière, alors, au bénéfice du doute et pris au dépourvu, nous mettons un mouchoir sur ce doute.
Pour notre génération de quinquagénaire, encore élevée dans les valeurs du labeur, ce procédé photographique me semble peu méritant. Rien n'a de valeur si on n'a pas souffert pour obtenir ce que l'on convoite. La vitre sans tain affleure un petit plan d'eau de 2 mètres sur 6. Grâce à ma femme, je peux maintenant reconnaître autre chose qu'un rouge gorge telle une mésange bleue, une sittelle torchepot, un pic épeiche, un troglodyte mignon ou un pinson.
Je m'ennuie, dit ma femme devant son nouveau Sony équipé de l'AF sur les yeux des oiseaux et mon 200-600mm qu'elle est en train d'étrenner depuis 3 jours. Elles sont pourries ces vacances, on aurait dû partir au ski.
L'oiseau de proie est finalement arrivé au bout d'une heure environ. Il dépèce l'appât en le couvrant de ses ailes pour le cacher aux autres prédateurs. Le monticule ressemble à un mont enneigé après avoir été recouvert de plumes. Même si cela semble trop facile de le photographier dans ces conditions, l'animal impose et dégage une impression majestueuse. Après quelques photos, je me dis que nous n'avons aucun mérite. Cela aurait un intérêt pour un ornithologue qui pourrait l'étudier. Moi, qui suis incapable à ce moment là, de savoir qu'il s'agit d'un Autour des Palombes, je préfère le filmer quelques secondes avant de prendre le temps de l'admirer. Buse, faucon, épervier, autour, busard, milan, aigle, difficile de s'y retrouver quand on y connaît rien.
La réflexion qui s'impose, malgré l'impression de facilité à photographier ces espèces depuis un affût, est qu'il est quasiment impossible de reproduire ces images en milieu naturel tant ces animaux sont sauvages et craintifs. Même les plus grands photographes usent d'appâts qu'ils mettront sous silence lorsqu'il s'agira d'envoyer une photo pour un concours. Un appât ne garantit pas non plus à 100% une rencontre, nous en avons fait l'expérience et cette mésaventure, qui nous a fait perdre trois heures de notre vie, m'a finalement rassuré.
Alors, oui, assis sur les mêmes chaises, au même endroit, seule la lumière fera une différence sur les images des autres photographes avant et après nous. Même les cadrages seront approximativement les mêmes grâce ou à cause du peanut butter déposé toujours sur le même flanc de l'arbre dans l'axe de l'affût. Le propriétaire flamand de nos affûts, un photographe naturaliste, dispose machinalement les asticots, noisettes et graines de tournesol aux endroits les plus photogéniques.
Je ressens un peu de honte pour ne pas dire beaucoup, dans la peau d'un privilégié disposant d'un matériel coûteux pour photographier des oiseaux dont il ne connaît ni le nom ni leur mode de vie.
Je m'ennuie, me répète ma femme, j'ai faim, je vais manger quelque chose. Isabelle a tout prévu pour qu'on ne meure jamais de faim.
Je me conditionne en me disant que je sais pourquoi je ne revivrai plus ce genre d'expérience. Le son criard d'un Reel Instagram déchire le silence de notre cachette.
Pardon, désolé me souffle-t-elle.
Ça devient comique.
Pendant ce temps d'attente, j'écris ces réflexions sur une note de mon téléphone.
J'envie ceux qui ont eu par le plus grand des hasards, la visite d'un cervidé ou d'un renard lors d'un affût à oiseaux dans lequel nous nous trouvons. Je comprends mieux maintenant "le travail" au premier sens du terme, de ces photographes qui traquent à la jumelle leurs animaux fétiches des journées entières sous des filets de camouflage. Tout à l'air si simple quand on voit ces millions de photographies animalières sur Instagram.
Malgré cet affût et les nombreux oiseaux, le manque de luminosité ne nous permettra pas de réaliser de belles images quoi qu'on fasse, à moins d'être un véritable artiste.
À force d'être nourris, certains oiseaux opportunistes sont devenus dodus. Il y a même un rouge gorge charismatique et familier qui vient nous réclamer de la nourriture, collé à la vitre sans tain. On est grillé.
J'ai beau dénigrer ce genre d'affût mais quand il s'agit d'écureuil alors j'oublie tout ce que j'ai écris précédemment. Trop de mignonnerie, impossible de ne pas craquer devant ces petites bouilles. Heureusement que cette session a eu lieu pour nuancer mon propos sur ces cachettes. Chacun y trouve son compte finalement.
Les animaux marins sont naturellement méfiants mais pas aussi craintifs que leurs cousins terrestres. Leur curiosité les rend parfois plus accessibles et plus faciles à photographier quand on a la chance d'être bien positionné sur leur passage. Le bateau sert d’affût mais une fois à l’eau, on recherche l’interaction inhabituelle et magique entre nos deux mondes.
Cette semaine d’affût en dur m’a tout de même donné envie de tenter l’affût mobile sous une tente de camouflage afin d'approcher d'autres espèces terrestres entre nos deux à trois excursions océaniques annuelles.
Je vous souhaite une belle année 2023 en communion avec la nature et le souci de la préservation de sa vie sauvage.
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