Une île volcanique luxuriante et sauvage, une population relativement pauvre qui aime faire entendre de la musique très fort au point de ne plus pouvoir se parler sans crier dans les bars, les commerces ou les bus, une conduite toujours trop rapide sur des routes conçues sans trottoir, défoncées pour ne jamais avoir été entretenues, bienvenus, vous êtes à la Dominique, entourée au nord par les îles de la Guadeloupe et au sud par la Martinique.
Mais quand on navigue au large, peu importe l'île, sa nationalité, sa langue ou sa culture. La masse des océans vous ramène toujours au même continent, celui où les regards se perdent pendant des heures sur l'horizon, les vagues et les diamants qui brillent à sa surface. On s'ennuie souvent aussi mais il paraît que ça fait partie du jeu, car la patience fixe les règles de ce qui se mérite, l'observation de la vie sauvage. Sans trop y croire, on se dit que de toute façon, le guide ou le skipper aura vite fait de détecter à notre place, le lointain panache brumeux en criant : blow at two!
S'approchant des panaches brumeux, le mot est lancé : whale, get ready!
J'étais pas prêt.
Groggy par des heures d'attente, dans un vent de panique il faut enfiler sur le pont arrière, sa combi si on a décidé d'en mettre une, son masque et ses palmes.
Platform ! L'ordre est donné de s'assoir avec ses palmes sur la jupe arrière du bateau en mouvement tandis que le guide distribue les caissons étanches de chacun. Ce n'est plus le moment de vérifier ses réglages. L'échappement du moteur nous enveloppe, je mets le tuba dans la bouche pour me protéger, de la buée commence à obstruer la vision de mon masque.
Get ready!
Putain, j'espère que je ne vais pas me faire distancer et arriver le dernier sur le cachalot. Où es-tu ma grosse limace aquatique, à droite ou à gauche ?
Go, go go!
Un bain de bulles et de palmes me laisse peu de chance d'être bien placé. De l'eau commence déjà à pénétrer par le bas de mon masque. J'aurais dû me raser. Pour m'extirper du groupe, mes jambes palment comme s'il s'agissait de ma survie. Une ombre apparaît à une vingtaine de mètres. Le voilà. Le dessin prend forme avec le fantasme qui va avec. Est-ce qu'il est comme je me l'imaginais ? Un mur de béton glisse devant moi. Je suis du regard embué, la ligne de sa mâchoire pour arriver à son œil, le fameux. Si un jour vous avez la chance de croiser le regard d'un cachalot, alors vous comprendrez.
Le cachalot, qui doit être une femelle ou un juvénile, plonge dans les abîmes. Nous flottons à 7000 mètres au-dessus des fonds marins. Il ou elle n'a pas envie de nous voir apparemment. Nous remontons dégoulinants sur le bateau encore chaussés de nos palmes.
Alors, tu l'as vue, tu as fait une bonne photo? Non c'était trop rapide, pas de visi, trop de particules !
Cette phrase résume les 4 premiers jours passés en mer de 7h30 à 14h00 quotidiennement. La frustration pointait du doigt les responsables de ce comportement inhabituel en incriminant les scientifiques qui effrayaient les cétacés en les poursuivant afin de leur greffer une balise ventouse orange sur le dos. Il y a aussi, peut-être dans les environs, ce groupe de globicéphales dont la présence les rendrait nerveux. On estime aujourd'hui, la population des cachalots à environ 350000 individus disséminées à travers le globe, c'est peu, comparé au million du début du 19ème siècle. Le cachalot a frôlé l'extinction s'il n'y avait pas eu le moratoire de 1985 pour stopper l'hémorragie. Croiser son regard de rescapé est un privilège. Au-delà d'essayer de réaliser une bonne photographie, tous les passionnés se sentent investis du devoir de sensibiliser le grand public sur cette longue et fragile résilience.
Un couple parmi nous commençait à s'impatienter. Ce n'est pas ce qu'ils avaient vu sur YouTube et selon leurs propres termes, "It's not value for money". Payer autant d'argent alors qu'ils n'avaient pas pu se filmer avec une baleine à leur côté, voire à immortaliser un selfie, signifiait que l'organisateur véreux, un guide biologiste reconnu, avait menti sur le programme pour s'enrichir coûte que coûte. Merci les réseaux sociaux qui ne montrent que le produit fini sans jamais dévoiler le nombre de tentatives et la difficulté pour le réaliser du premier coup.
La vie sauvage mérite qu'on la respecte avec patience et humilité pour aller à sa rencontre. Il nous aura fallu un cinquième jour de patience pour être récompensés. 40 minutes d'un spectacle rare où une dizaine de cachalots sociabilisaient en famille dans un ballet de frottements, de vrilles et de contacts affectueux. Les fans de selfie pouvaient enfin s'en donner à cœur joie.
Le plus triste dans cette histoire, c'est qu'ils n'auront toujours pas compris que la vie sous-marine n'est pas un zoo.
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