Mes dernières photos nocturnes remontent à Noël 2019 à Burano et Venise. Le confinement est passé par là et l'été ne m'aura pas redonné la ferveur de sortir le trépied à la nuit tombée. Une traversée du désert sans saveur où la Covid m'a ôté le goût et l'odorat pour la photographie. Par procuration, ma motivation a investit le projet de ma femme Isabelle pour faire évoluer sa série de portaits de danseuses de Ori : "Un pont entre deux cultures". Cette fois le thème choisi sera "d'un horizon à l'autre" et on commencera par notre littoral Français, direction l'île de Ré et Saint Brévin.
Cette échappée me permettra-t-elle de jauger à nouveau mon inspiration face à des paysages inquiétants où la lumière providentielle offre un îlot de rassurement pour l'enfant qui veille en nous au milieu des ténèbres ? Les cabanes de pêcheurs sur pilotis et le pont de l'ile de Ré projettent une carotte au bout du bâton censée me faire recouvrer le goût.
Perle danse à la lisière de l'océan atlantique, là où le lit de sable permet aux vagues de s’assoupir un bref moment avant de reprendre leur route. Le flash autonome de 300 joules dans la main, je vise le flanc de la danseuse qui se meut aux derniers rayons du soleil. La musique diffusée à travers l'enceinte portative miniature achetée chez Action est couverte par les sons du ressac et du vent léger. Maxime filme sa belle avec sa GoPro. Le coucher du soleil friserait la vulgaire carte postale de la Tahitienne sur la plage mais la fougueuse modernité de Perle évite intelligemment le cliché. Les bips des flashs se succèdent sans répit. La boulimie d'instantanés presse en continu le déclencheur du Nikon d'Isabelle. Le moment suspendu se délecte de cette danse qui a traversé les époques entre interdits et renaissance. Première séance "d'un horizon à l'autre" réussie.
Les gouttelettes de pluie ruissellent sur la bâche transparente de la terrasse du restaurant. La carte affiche un unique plat végétarien pour les Bobos Parisiens que nous représentons. Il est encore tôt, nous laissons le temps au soleil de fondre derrière l'horizon avant de poser enfin mon trépied pour une série de photos au pied du fameux pont de l'ile de Ré. La pluie a finalement cessé et nous gagnons le gigantesque édifice entre les oyats plantés sur de petites dunes. Les faisceaux de lampes frontales zigzaguent au loin. Des pêcheurs surveillent leurs lignes depuis le début d'après-midi. L'un d'entre eux nous justifie sa passion pour la chasse en se déclarant régulateur de gibier. Fier de lui, il nous montre son dernier sanglier abattu sur l'écran de son smartphone. Quelques photographies d'échauffement et il est temps pour nous de quitter rapidement ces âmes conservatrices qui sont à l'opposé de notre bulletin de vote. Les ruines de l'ancien embarcadère à une centaine de mètres m'invitent à venir prier le dieu de l'inspiration au sein de sa chapelle. Mes doigts s'activent fébrilement comme un puceau sur les boutons et molettes de mon Sony. Je déplace mon trépied avant même d'avoir visualisé ma dernière image. Je sens que l'inspiration est proche. Mes prières ont été exaucées. La paix calme enfin mes doutes, je peux rentrer serein et envisager de continuer mes aventures nocturnes.
Nous avons rendez-vous le lendemain à Saint-Brevin pour photographier Sandra K. sur la plage avec la présence de Nyko, vidéaste Tahitien qui filmera notre prise de vue. Les essuies glaces balaient le pare-brise de la Clio pendant les deux heures trente qui nous séparent de l'île de Ré. Mais quand la pluie nous aura épargné, les rafales de vent prendront le relais.
Le sable fin surfe sur la plage et vient s'échouer en fouettant nos joues et nos yeux. Heureusement qu'il nous reste une chance de réaliser une prise de vue dans de meilleures conditions demain matin.
Le ciel matinal est outrageusement bleu alors que nous terminons notre petit déjeuner dans notre maison d'hôte. Nous tenons enfin notre shooting photo et vidéo avec Sandra.
Le miroir d'eau est là, je pose le premier flash mais aucun éclair ne jaillit. Quelques gouttes frappent à la porte de nos crânes. À peine avons-nous levé la tête que la pluie collait déjà nos pantalons à nos jambes frigorifiées. Battus en retraite, la météo se jouait de nous. Un flash en moins et quelques heures de plus, la fenêtre de tir se rétrécissait. Le ciel a bien voulu être clément une petite heure, mais pas plus. Sa grise mine affichait la volonté de s'effacer humblement devant la grâce de Sandra.
Les images sur le Nikon d'Isabelle, affichent de belles récompenses. Tout le monde semble satisfait tandis que nos pantalons et nos chaussettes tournoient dans le sèche-linge.
À mon tour d'exprimer ma créativité autour des carrelets de Saint-Michel Chef Chef. Le ballet des essuie-glaces a un air de déjà vu. Pester contre les éléments ne sert à rien, il faut savoir patienter et pour ça, rien de mieux qu'une crêperie en compagnie de nos amis, présents eux aussi dans la région. Ici et partout ailleurs sur le littoral, il fait beau plusieurs fois par jour.
Les carrelets se dressent tels les quadrupèdes TB-TT de la bataille de Hoth sur la planète de glace. La nuit tombée, en vieux Jedi, je déplie mon sabre laser pour immortaliser ces photogéniques pêcheries endormies. À cette heure-ci, Paris est privée de sortie, alors profitons de cette liberté conditionnelle tant que c'est encore permis.
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