Mon entrée dans l'eau ne s'est pas passée comme je le l'avais préparée, sans bruit ni éclaboussure. Mon corps s'est pourtant laissé glisser le long du semi-rigide, la corde obligatoire dans ma main gauche et mon caisson étanche dans la main droite. Saisi par la température glacée de l'océan Atlantique, il me fallait rapidement guetter la position des dauphins et les paramètres de mon appareil photo qui affichait un écran de visualisation vierge de toute lumière. Les dauphins sont bien là mais le temps de régler mes ISO manuellement ils auront vite fait de repartir. Pourquoi n'ai-je pas gardé les mêmes réglages que ceux que j'ai préconisés à Isabelle, en conservant l'automatisme de la sensibilité avec une correction d'exposition de moins deux tiers? Le zodiac nous entraîne tel un appât, ma femme à tribord et moi à bâbord grâce à la traction de la corde qui entoure la poignée de mon Ikelite me sciant l'aisselle et le revers du coude. Curieusement la morsure du froid s'est faite oubliér. Les premiers moments fugaces de curiosité des dauphins tachetés ne dureront pas. Il faut déclencher à l'aveugle le caisson à bout de bras. Cette attention permanente m'évite d'estimer les probabilités que la corde s'emmêle dans l'une des deux hélices du bateau. Ces "Spotted dolphins" ne sont pas aussi joueurs que ceux des Bahamas et l'amplitude de mon 18 mm a pour conséquence de les éloigner dans la profondeur de mes images alors que mon 24 mm avait été plébiscité le matin même. Cette reprise de la photographie sous-marine a pour mission de me rappeler systématiquement de vérifier mon matériel et mes paramètres avant de monter sur un bateau.
À force de trop penser aux détails techniques, j'oublie que cette nouvelle rencontre avec la vie sauvage est une célébration de la fin de l'ère Covid, au retour de ce goût salé de l'océan partagé avec ces beautés de la nature. Et dire qu'une guerre absurde provoquée par les frustrations d'un tyran vient de débuter en Ukraine, le pays de nos confrères, les plus européens des slaves. Cette réflexion gâche la fête alors que je pourrais m'en moquer dans ce contexte aquatique incongru. Remontés sur notre embarcation, l'expérience vécue ne suffit pas à nous réchauffer laissant nos dents jouer des castagnettes. Nos frissons se consolent à l'idée d'avoir au moins une image réussie enregistrée dans nos cartes mémoires. Superstition ou pas, nous avons pris l'habitude de ne pas regarder nos clichés après une mise à l'eau préférant laisser planer un doute positif ou s'agit-il peut être de leur laisser le temps de se révéler comme un bon vin. Pour une première sortie, malgré la corde et la température de l'eau, la semaine augure d'autres belles expériences à venir.
Le séjour avait pourtant débuté dans le mauvais temps. Le premier jour, après de rapides tergiversations, nous avions opté pour la forêt de lauriers à Fanal sur les hauteurs à l'Ouest de Madère. Vus sur le catalogue de l'agence de voyage Instagram, des arbres tortueux et photogéniques apparaissant tels des zombies dans la brume. On ne peut pas mieux faire pour créer un décor fantasmagorique. La route elle même est une expédition en temps de brouillard. Impossible de doubler derrière des conducteurs apeurés de ne pas voir la route à plus de 5 mètres devant soi. Le risque de percuter un véhicule en face est inévitable dans ces conditions de visibilité. Alors on prend son mal en patience et on reste derrière en seconde. Sans trop savoir où se trouve le lieu exact au milieu de la brume, je suis un automobiliste indécis et décide de m'engager sur une impasse avec heureusement un parking au bout. Dès les premiers pas aventureux, le spectacle est grandiose. Un décor de cinéma s'offre à nous où les zombies ont été remplacés par des troncs de lauriers. Une vache surgit de nul part. Tout est beau et il est difficile de privilégier un cadrage plutôt qu'un autre. Mon index n'avait rarement autant déclenché, moi qui suis relativement économe dans mes prises de vue.
L'île de Madère serait considérée comme la Hawaï de l'Europe mais comme je ne suis jamais allé à Hawaï, je la conseillerais à tous les randonneurs aguerris qui n'ont pas spécialement un goût prononcé pour la photographie de paysage, sinon ils n'arriveront jamais à destination avant la nuit.
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