La soupe mijote tandis que je jette les derniers morceaux de patate douce dans la cocotte. Isabelle, ma femme est descendue acheter un pot de Houmous pour les Wasa. La froideur du 1er épisode de la saison 8 de Game of Throne a laissé place sur notre écran de télé à l’émission “Le quotidien” pour réchauffer l’atmosphère.
Un appel en absence est affiché sur mon téléphone. Mon fils aîné a tenté de me joindre, probablement pour m’annoncer qu’il avait trouvé un stage.
Je le rappelle:
“Salut Papa, tu as vu que Notre Dame est en feu? Je vois les flammes depuis la rue Saint-Gilles”
Non, je ne le savais pas. Je lance l’appli France Info pour voir le direct et les images montrent clairement qu’il ne s’agit pas d’un petit incendie mais bien d’un brasier effroyable.
Je coupe le son de la télévision qui résonne de sa vulgaire ignorance devant cet évènement tragique.
Isabelle rentre, un sac de course à la main. Je lui indique du regard l’écran de télévision silencieux qui affiche enfin les images en direct. Elle manque de défaillir en sanglotant et posant de multiples questions dont personne n’a de réponse.
Tout le monde est anéanti devant notre impuissance à éteindre ce feu qui consume petit à petit un joyau historique de l‘architecture. La pire des situations est de rester immobile et de subir passivement cette violence visuelle. Les chaînes d’infos relaient les impressions de personnalités ou d’anonymes mais qu’est-ce qu’on en a à foutre de leurs impressions... La pudeur cède aux “moi je” et nous zappons en permanence d’une chaîne à une autre. Je n’ose même pas ouvrir Facebook.
La cathédrale est à deux Km à pied de chez nous, pourquoi ne pas aller au chevet de notre vieille Dame agonisante et avoir l’illusion de lui insuffler ses dernières forces même si cette ferveur provient d’un athée.
Dehors, la vie quotidienne ne semble aucunement affectée par cette tragédie historique. Le flux des gens se croisent comme d'habitude dans une indifférence totale, les terrasses sont à l’heure de l’apéro et on entend même des rires. C’est à se demander si notre état d’âme n’est pas exagéré.
Nous arrivons sur le Pont de Sully. Il y a du monde mais pas autant que je l’imaginais. L’intensité de l’incendie semble avoir diminué mais la crainte que les flammes gagnent les deux beffrois persiste. Nous nous engageons sur le quai de la Tournelle où les Parisiens qui pique-niquaient ont dû assister avec effroi au départ de l’incendie et à la chute de la flèche.
Les photographes sont nombreux et je dois me faufiler pour trouver un espace où poser mon trépied au bord du quai. Fébrilement, j’installe mon appareil et je dois redoubler d’attention à ne pas le faire tomber dans la Seine comme j’ai pu le faire en mer d’Islande. L’émotion ne m’engage pas dans une voie créative. Je fais des photos mécaniquement en alternant les objectifs: 20, 50, 90 et 300mm. Heureusement que le niveau des flammes a fortement diminué car je me serais senti comme un vautour surveillant sa proie.
On entend des applaudissements au loin qui tournent comme une ola dès qu’un camion de pompier passe devant la foule. J’ai la gorge nouée. Des chants doux et harmonieux s’évaporent du Pont de Sully. Nous discutons avec des passants et échangeons des informations qui ne servent à rien, sinon juste à partager un sentiment de solidarité.
Cette vieille Dame a une histoire pour chacun d’entre-nous, comme une grand-mère. Une stature respectée qui traverse le temps, nous voit naître et mourir depuis 850 ans.
Assister de manière impuissante à sa crémation nous laisse une impression nauséeuse. La nausée de vivre la fin d’une ère, celle qui préférait le durable à l’éphémère et pas uniquement dans la construction.
Un ami provincial et ancien parisien qui venait de boucler le marathon de Paris la veille m’envoie sur Messenger ses critiques à chaud sur notre capitale, mélangées à l'amertume de l’actualité. Il ne sait pas comment je fais pour continuer à vivre dans cette ville. C’est vrai, Paris est une fourmilière dans laquelle toutes les cultures, tous les styles, toutes les innovations, les modes et les tendances se mélangent sans jamais faire de pause. Il faut s’adapter en permanence au milieu de cette diversité, accepter malgré nous, les nouveautés permanentes qui brouillent notre besoin de stabilité.
Toutes les grandes villes cosmopolites se développent plus rapidement que notre entendement.
Paris, on l’aime et on la déteste. On la fuit mais on y revient. Paris est un monstre.
Je nous imagine communier un jour, dans 10 ou 15 ans devant l’inauguration de notre vieille grand-mère qui aura vu sa charpente renouvelée avec les techniques modernes, dans le respect de la tradition et se dire qu’on était témoin de son agonie et de sa résurrection.
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